Yvonne Shu-fang Chiou – Chinese Translator
À l’époque où je fréquentais l’école primaire, il n’y avait pas de télé à Taïwan, mais la radio faisait partie du quotidien. Un jour, j’y ai entendu des sons étranges qui n’avaient rien à voir avec ceux que je connaissais. J’ai tout de suite mis la main sur un crayon pour transcrire ces sons dans le langage phonétique mandarin employé à Taïwan. Plus tard, j’ai appris qu’il s’agissait des lettres anglaises S.K.B. Une marque de stylo.

Ces trois lettres me fascinaient. Ces sons nouveaux et étranges, si différents de ceux de ma langue habituelle, piquaient ma curiosité.

J’ai commencé à apprendre l’anglais plusieurs années plus tard, au début du cours secondaire. La plupart des élèves ont appris une à une les 26 lettres de l’alphabet en recopiant minutieusement chacune d’elles, accompagnée du caractère chinois ou du symbole phonétique qui, à leurs oreilles, s’en rapprochait le plus. Comme le chinois et l’anglais reposent sur deux systèmes linguistiques totalement différents, beaucoup de mes camarades avaient du mal à prononcer ces sons étranges et s’endormaient sur les leçons de grammaire. Autant dire qu’ils détestaient cette langue venue d’ailleurs. Heureusement, je faisais partie des quelques élèves qui aimaient réellement tout le processus d’apprentissage, de la prononciation aux difficultés grammaticales, en passant par l’orthographe, le vocabulaire et la structure de phrase. Je crois que mon intérêt pour cette nouvelle langue tenait du fait qu’elle me révélait un monde nouveau.

J’ignorais encore pourquoi j’aimais tant l’anglais. Il s’intégrait naturellement dans ma vie, à tel point que j’ai décidé de faire des études de littérature anglaise. Après ma maîtrise, j’ai trouvé un emploi de traductrice et réviseure au United Daily, le quotidien le plus populaire de Taïwan à l’époque. Chaque soir, je traduisais en chinois traditionnel des nouvelles de langue anglaise venues de diverses agences de presse internationales. J’ai beaucoup appris sur le journalisme et les affaires internationales, dans des domaines aussi variés que la politique, la médecine, les sports, les sciences, les arts, l’économie, les affaires et bien d’autres. Comme c’était la première fois que je m’essayais à la traduction, ce fut toute une expérience d’apprentissage. Je m’étonnais moi-même de la qualité de mon travail. En plus de m’ouvrir les yeux sur un monde nouveau, cet emploi a donné une base solide à ma future carrière de traductrice.

Après sept ans passés à l’emploi de l’agence de presse, je me suis mariée et j’ai commencé à enseigner à plein temps au collège où mon époux travaillait depuis plusieurs années. Dix ans plus tard, le destin m’a encore ouvert la porte d’un nouveau monde.

En 2000, j’ai élu domicile en Colombie-Britannique, et j’ai obtenu une accréditation de traductrice de la STIBC en 2002. Ma carrière de pigiste s’est d’abord tournée vers l’interprétation, puis vers la traduction, un métier que je pouvais exercer à la maison en gardant un œil sur mon enfant.

Depuis mon arrivée au Canada, j’occupe deux emplois à temps partiel. J’enseigne le mandarin dans quelques écoles chinoises de ma localité la fin de semaine et je traduis durant la semaine. Jusqu’ici, j’ai traduit 11 ouvrages de l’anglais au chinois traditionnel : 9 romans et 2 essais, le premier sur la psychologie et l’autre sur le marketing en ligne.

La traduction de livres est une expérience généralement intéressante, parfois frustrante et, au final, enrichissante. Pour moi, c’est un jeu qui se joue avec des mots. C’est un parcours qui me mène sans cesse d’un univers à un autre. C’est une longue marche que nous prenons ensemble, auteur et traductrice, en menant un dialogue silencieux.

Une véritable révélation m’est venue alors que je traduisais mon premier vrai volume, La vingtième épouse. J’étais plongée si profondément dans les mots et l’univers de ce roman que j’en oubliais où j’étais. Soudain, en me retournant, j’ai aperçu deux chevreuils derrière la fenêtre, tout près de moi, qui me dévisageaient. Un papillon volait au-dessus d’eux. C’était le printemps. Les arbres et l’herbe étaient verts. Le soleil brillait. Les feuilles miroitaient. Un doux silence égayait l’atmosphère. On se serait cru dans un tableau de Monet. Les chevreuils restaient là à me regarder les regarder. Le temps s’est arrêté tandis que mon cœur s’emplissait de joie et de paix. Cet instant restera à jamais gravé dans ma mémoire, comme un point de repère sur mon parcours de traductrice.

Plus j’avance sur ce parcours, plus j’apprécie son caractère infini et fascinant. Je ne cesse d’apprendre et je ne m’ennuie jamais. Et l’évolution de la technologie moderne me révèle continuellement de nouveaux univers et de nouveaux défis à relever.

Sur ce parcours passionnant, la curiosité suscitée par ces nouveaux univers me rappelle étrangement celle qu’ont éveillée chez moi ces trois premières lettres d’anglais entendues à la radio, il y a si longtemps.

Les mots sont mon voyage.